Les porcelets du quotidien

Aujourd’hui, il faut balancer son porc. Mais de quel porc parle-t-on ? Si seulement il n’y en avait qu’un. La vie des femmes est intrinsèquement liée à ces gens-là, des centaines d’hommes, qui nous rappellent chaque jour que nous existons pour être gracieuse à leurs yeux, pour flatter leur égo et contenter leurs fantasmes. Et puis ce ne sont pas mes porcs, ils ne m’appartiennent pas, je les ai rejetés au plus profond de ce que je suis, en tachant de camoufler leurs remarques, pour oublier, pour avancer comme les garçons, même si leurs actes sont autant de boulets que je traine aux pieds.
Alors voilà, le porc, c’est ce supérieur qui, lors d’une mission à l’étranger, vient dans ma chambre d’hôtel pour « travailler les dossiers », sur mon lit bien sûr, et est subitement pris d’une crampe au mollet « viens me masser ! ».
C’est cet avocat qui m’offre une glace dans mon bureau, malgré mon refus, pour « m’admirer la manger » alors que, jeune et terrorisée, je le vois s’installer devant moi, pendant que je déchire l’emballage du cornet, en essayant de me persuader « Tout est normal, il ne faut pas dramatiser, c’est juste un jeu».
C’est ce directeur qui me demande si j’ai été embauchée grâce à mon « beau corps », en dépit de mes huit années d’études.
Ce client qui persiste à vouloir savoir si « je suis à mi-temps, j’ai des enfants, je suis stagiaire, j’ai suivi mon mari » et toute autre question que l’on ne posera jamais à un homme.
C’est cet avocat qui me propose de m’emmener à un cocktail professionnel en scooter, ça lui laissera le temps de «me faire découvrir le Paris des amoureux ».
C’est celui qui scande lors d’une réunion « On sait tous pourquoi tu es là » à mon égard, seule femme comme souvent, cramoisie et honteuse sans savoir pourquoi, au fond de mon fauteuil.
Celui qui s’obstine à parler à mon assistant alors que je suis à ses côtés, car je dois certainement être sa subalterne.
C’est ce patron qui me convoque à une réunion alors que je n’étais pas présente lors de sa préparation car « une femme emmène de la douceur dans les négociations ».
Celui-là même qui me demande si « je compte aller à cette réunion habillée comme ça » car « tu comprends, c’est une réunion importante ».
C’est ce collègue qui persiste à m’appeler « mademoiselle » face à une assemblée d’hommes quinquagénaires, me plaçant immanquablement en situation d’infériorité lors de toute négociation.
C’est celui qui, en rigolant, me demande un café crème « et rapidement s’il te plait» lors de cette même rencontre, mais « c’est une blague, détends toi ».
C’est qui complimente mon supérieur « tu l’as trouvée où, elle est formidable » avec un air entendu, alors que vous ne vous étiez jamais rencontrés auparavant.
Ce supérieur qui reprend des coquilles sur mes conclusions en se collant à moi, assise derrière mon ordinateur.
C’est ce prof de fac qui me propose de venir imprimer des cv chez lui « car il a du papier mat brillant qui sera d’un meilleur effet » mais « pour éviter les jalousies, il est préférable que cette proposition reste entre nous».
C’est ce collègue qui me complimente sur une chemise, une robe, ta coiffure, ma « forme physique », en pleine réunion.
Celui qui, lors d’un entretien d’embauche, me propose « d’aller plus loin, c’est fou vous avez la grâce d’une comédienne ».
C’est celui qui me suggère lors d’une cérémonie officielle de « prolonger la discussion chez lui», celui qui me demande « pourquoi faire des études lorsque la nature a été si généreuse », mais aussi celui qui se permet de juger, sans cesser, le corps des femmes : son poids, sa stature, ses vêtements, lui qui n’a rien d’attirant, vieux, gros et dégarni, mais c’est un homme, on ne s’attarde pas sur sa décrépitude.
Et puis avant tout cela, enfoui au creux de l’enfance, cet homme qui touchait les motifs de mon tee-shirt, « pour voir s’ils sont en relief », alors que pointaient dessous mes tétons juvéniles.
Cet autre qui me prenait sur ses genoux pour me faire réviser mes gammes de piano.
Ce prof de sport qui rentrait systématiquement dans nos vestiaires de collégiennes alors que l’on se changeait.
Cet homme qui m’a embrassée « sur la bouche » alors que je jouais à cache-cache dans les thuyas.
Ils sont tous ceux-là, qui justifient à eux seuls la détresse des femmes, rendant honteux leur sexe, leur âge, leur apparence. Ils sont ceux qui transforment ta voix en un filet chevrotant lorsque tu prends la parole en public « Suis-je assez bien coiffée, mes habits conviennent-ils ? Il faut que je reste à la fois classe et sobre ». Ils sont ceux à qui tu ne diras rien lorsque tu recevras une paye inférieure à ton voisin : on te l’a expliqué, tu es jolie et douce. Ils sont ceux qui te feront enrager de n’être pas crédible lorsqu’ils t’appelleront mademoiselle en réunion, pour t’attrister plus tard de n’être plus nommée ainsi. Ils sont tous ces hommes-là qui ont un droit de regard sur toi, qui feront que ta carrière sera plus lente, tes choix plus difficilement acceptés, qui te feront douter « heureusement que tu as un homme à tes côtés pour te protéger ».
Seules les femmes peuvent comprendre la portée et la violence de ces mots, de ces gestes. Alors, même si il faut « arrêter de culpabiliser les femmes », même s’il faut cesser de pointer du doigt les victimes pour mieux cerner les agresseurs, j’en appelle à cette notion équivoque qu’est la solidarité féminine. Un homme se dira « flatté » par un compliment d’une collègue sur son physique, seule une femme peut comprendre ce qu’insidieusement cela peut faire naître. Les hommes se couvrent par des notions galvaudées de galanterie, de séduction, ils « flattent et font plaisir ». Et puis ils sont Gaulois, leurs rires gras les autorisent à quelques écarts. Mon rêve est que l’on cesse de les y encourager, qu’une réflexion sur le physique d’une femme emmène une répartie « tu es aimable de garder ce genre de considération pour toi » plutôt qu’un rire de connivence. Que l’on arrête de se mettre en garde secrètement sur tel ou tel homme « un conseil ne va pas seule dans son bureau, il est lourd ». Que l’on s’interdise de juger les femmes sur leurs tenues, leurs rides du lion, leurs poids.
Si chacune de nous condamne méticuleusement ces attitudes, ces messieurs se sentiront peut-être moins en droit de nous détailler du regard, s’il ne s’agit que d’un regard. Et à leur tour ils pourront guetter dans le miroir leur premier cheveu blanc.

Veuillez remplir les champs obligatoires



4 Commentaires

  1. Anne64

    C’est excellent.
    Maintenant je reste persuader qu’il faut l intervention de la justice pour les condamner méchamment et leur faire honte en privé et en public les remettre à leur place et le la leur rappeler puisqu’ils ont du mal à comprendre.
    Les lois sont mal faites trop floues et pas du tout sévères comme si c’était selon la justice une plaisanterie.
    Ca n’a rien de drôles d amusant sauf pour les agresseurs les monstres les porcs.
    La justice est extrêmement misogyne sexiste lesbophobe. Il n’y a pas de solidarité féminine. Il y a surtout des femmes qui ressemblent trop à ces porcs et pour de multiples raisons comme la femme soumise la femme de pouvoir la femme qui ne veut pas perdre son job la femme qui ne sait pas comment se défendre et se tait t la femme collabo. C’est celles des porcs des monstres.
    J’en suis arrivée à les haïr je les ai toujours méprisés.
    Ils ne m’ont jamais respectée. Jamais ça commence dans la famille puis à l école puis dans le quartier puis au travail puis partout.
    Je déteste autant les hommes que leurs femmes qui leur ressemblent toutes aussi coupables qu’eux. Dans le genre DSK SINCLAIR , BECKAMMS, BHLDOMBASLE, CLINTONS, KENNEDYS, BADINTERS etc.

  2. gael

    Vastes sujets sur le comportement de l’espèce humaine et le fonctionnement des sociétés… De voir tout ce qui se passe j’en ai le moral en berne… Et de voir notre impuissance face à cela, je crois que je vais déprimer…

    • n n

      Alleeeez…c’est juste un petit coup de blues, face à la longueur du chemin à parcourir.
      Mais nous sommes nombreux sur ce chemin. Si nous marchons tous ensemble, en témoignant, en scandant des slogans, en signant des pétitions, en nous réunissant sur la place publique, en nous faisant voir et entendre quoi, nous aurons fait un petit bout de chemin; puis, quand nous ne serons plus là, d’autres prendront le relais, parce que malheureusement ça ne sera pas fini, mais nous aurons bien avancé!

  3. Humaine41

    Oui, ces porcelets du quotidien font des ravages. Tant de ces situations également vécues qui, à force de répétition, vous donnent la nausée des hommes et abolit cette confiance sans laquelle aucune relation ne peut être vécue pleinement.
    Pour ma part, la dernière date de quelques mois seulement : après avoir obtenu les félicitations du Comité de Direction sur le travail accompli en 3 mois, le DRH qui vient d’arriver et avec lequel je travaille avance que, pour obtenir de tels compliments, j’ai « couché » avec un membre du CODIR.
    C’est aussi ce DG d’un OPAC qui conclut un entretien de recrutement par : je ne peux pas vous recruter car vous me plaisez trop (à cette époque j’élève seule mes 2 enfants et cherche désespérément un emploi) … et qui me recontacte en »off » pour prendre de mes nouvelles.
    C’est ce porc dominant qui lance à son troupeau, à haute voix en pleine rue et en s’esclaffant : celle-là elle doit bien sucer.
    C’est ce PDG qui me prend à part à la sortie d’un entretien avec une candidate qu’il vient de croiser, pour me chuchoter « celle là tu me la recrutes, elle a un joli petit cul ».
    Ce sont ces ami(e)s bien intentionnés qui vous disent régulièrement : je ne comprends pas, jolie comme tu es, tu ne trouves personne ?
    Etre ramenée à un objet sexuel dans la sphère sociale et privée est déjà destructeur ; lorsqu’il s’agit de la sphère professionnelle, cela devient ravageur. Ce sont de petits coups de rasoir qui, isolément blessent légèrement mais, à force de répétition, provoquent une hémorragie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *