J’ai hésité un moment parce que je trouvais mon histoire « pas assez grave ». Je pense que c’est important pour moi de donner la juste importance à ce qui m’est arrivé. Ne pas (plus) minimiser.
Mon premier petit ami. J’ai 16 ans, il en a 18. Je ne le sais pas encore, mais c’est un pervers narcissique. Après environ trois mois de relation, ma santé psychique se dégrade. Sans rentrer dans les détails, j’étais déjà une personne fragile suite aux difficultés rencontrées pendant mon enfance avec des parents émotionnellement instables. La pression qu’il a mis sur mon esprit à force de manipulations me fait m’écrouler comme un château de cartes. Trois mois, c’est le temps que cela lui a pris pour savoir exactement comment je fonctionnait, ou appuyer pour que ça fasse (très) mal, quels leviers actionner pour que je me sente moins mal. Je suis une marionnette. C’est lui qui décide si je me sens bien ou mal, si je me sens coupable ou valable.
Au tout début de notre relation, j’étais ouverte sur l’idée d’une relation sexuelle. Je suis vierge, nous avions décidé d’attendre que je me sente prête. Nous en sommes encore au flirt poussé quand mon psychisme craque. Terrorisée par à peu près tout sans jamais me rendre compte du rôle qu’il joue dans mon mal-être et mes symptômes, je me réfugie dans la religion de mon enfance qui prohibe toutes formes de rapports sexuels avant le mariage. Je refuse d’aller plus loin dans nos rapports et je me sens mal à l’aise avec ce que nous faisons déjà. Il refuse de renoncer à « ce que je lui ait déjà donné ». A partir de ce moment là, je me sens contrainte. Il faut dire qu’il a bien appuyée sur ma culpabilité en me rappelant que, au départ, je n’étais pas contre l’idée de lui donner ma virginité. Pour qualifier mon revirement de point de vue sur le sexe, il parle de « dol ». Et je culpabilise comme une idiote. Je ne me sens pas le droit de dire non à ce que à quoi j’ai déjà dit oui une fois. J’accepte donc ses cunnilingus, je lui pratique des masturbations et je le laisse me toucher les seins quand l’envie lui en prend.
J’apprends très vite à ne pas lui dire non. Lorsque je lui dit non, il procède toujours de la même manière. Il fait mine d’accepter mon refus, bon prince, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Et puis, une demi-heure plus tard, je suis en pleurs et en train de m’excuser pour quelque chose d’aléatoire. Genre parce que j’ai lâché un pet. Ou bien parce que j’ai un point de vue inacceptable sur un sujet quelconque qu’il a choisi délibérément d’aborder (connaissant déjà ce que je pensais de la question) pour pouvoir me reprocher ce que j’allais en dire. Quand il me propose quelque chose, ça me tétanise, je n’ose pas dire non franchement mais je n’ai pas envie de dire oui. Je reste bloquée comme un lapin pris dans les phares d’une voitures, je dit rien. Qu’à cela ne tienne, Monsieur a une parade : « qui ne dit mot consent ». Il aimait beaucoup cette phrase. Alors il se penche vers moi et fait ce qu’il veut. Sa logique me semble implacable. Pendant un certain temps, il a réussi à me convaincre que j’étais effectivement consentante, puisque je disais rien. Logique.
Deux fois, j’ai même accepté de lui faire des fellations. Il m’a forcée à continuer pendant un temps incroyable, jusqu’à ce qu’il soit satisfait. J’étouffais sous la couette, j’avais mal à la mâchoire, je voulais arrêter, je lui ait dit plusieurs fois, mais à chaque fois il me disait que ça y était presque. 45 minutes. Un enfer.
Je suis restée un an et demi avec lui. Vers la fin, je me souviens d’une fois, il me tripotais les seins alors que je lui tournais le dos. J’en pleurais tellement je voulais pas, mais j’avais pas la force d’affronter ce qui allait suivre si je le laissait pas faire. Je me demande toujours si il s’en est rendu compte que je sanglotais. Je me dit que si oui, quelque part, dans son monde intérieur de pervers, ça devait être le comble de la jouissance.
Voilà le genre de choses qui devrait faire réfléchir autour du consentement : aux États-Unis, les relations sexuelles entre une détenue et un gardien sont automatiquement qualifiées de non-consenties. On considère que le pouvoir que le gardien a sur la détenue la met en situation de faiblesse et donc ne permet pas la possibilité d’un consentement libre et éclairé. Peut-être qu’il faudrait arrêter de demander « Est-ce que vous avez consenti ? » et à la place dire « Est-ce que vous vous sentiez libre de refuser ? » ou encore « Pensiez vous risquer des conséquences difficiles à supporter en cas de refus ? »
J’ai longtemps minimisé. Je me disais des trucs comme « t’as même pas couché avec lui, c’était rien ». Il y a environ deux semaines, je crois que c’était la première fois que je disais les mots « abus sexuels ». Ca m’a fait un choc de m’entendre les prononcer. C’est comme si j’avais pas vraiment compris que j’étais une victime.
J’ai encore eu ce réflexe en voyant tout ces témoignages #balancetonproc et #metoo. Je me suis dit « tu vas vraiment témoigner ? Non mais regarde, c’est rien ce que tu as vécu en comparaison. » J’ai pas mal réfléchi, et je crois que ce genre de pensées fait partie du problème. On se dit que tant qu’on se fait pas violer avec pénétration par un homme qui menace de nous tuer, et bien c’est pas trop grave. C’est juste une main au cul. C’est juste une blague. C’est juste une branlette. On va pas faire des histoires pour ça quand même. On va pas en parler. On a pas envie de passer pour une chieuse qui dramatise alors que c’est rien du tout.
Et donc pour lutter contre ces idées là, j’ai décidé de témoigner. Voilà mon « rien du tout » qui affecte encore ma vie sexuelle plus de quinze ans après, j’ai toujours peur du plaisir, peur de me faire dominer par l’autre, peur de l’intimité, peur de me faire manipuler, peur de me faire humilier. Voilà mon histoire « pas grave » parce que j’en suis sortie « vierge et pure comme un agneau », et pourtant écorchée à vif comme si on m’avait pelée. Quinze ans plus tard, j’ai toujours pas retrouvé ma peau. Peut-être que maintenant que c’est dit, je vais enfin réussir à guérir.
Je suis très touchée par ce témoignage, notamment parce que je viens de vivre la même chose… Il faisait parti de mon groupe d’amis. Je ne sais pas comment m’en remettre, psychologiquement je me sens en chute libre. Je le vois tous les jours au lycée, je joue la carte de l’indifférence mais c’est tellement dur. Dur de se sentir humiliée sous son regard insistant quand je passe devant lui. Dur de me rendre compte comme il m’a manipulée.
J’aimerais le crier à la terre entière et en même temps de m’enterrer..
Je te conseille l’excellent livre « les pervers narcissiques » de Jean-Charles Bouchoux. Ce livre m’a aidé à comprendre que sous leurs apparences de force et de toute puissance, ce type de personnes est en réalité faible et fragile. Ce sont des parasites qui s’écroulent complètement en l’absence d’hôte à parasiter. Dans le couple pervers-victime, c’est la victime qui détient en réalité la force vitale et c’est la raison pour laquelle elle est choisie par lui. Au final, nous réussirons à nous reconstruire et retrouverons notre force. Lui n’a rien à retrouver, il n’est qu’une coquille vide qui doit en permanence être comblée par quelqu’un d’autre.