J’ai seize an et demi. C’était un soir de juillet… Je viens de déménager de mon petit village d’enfance du nord-est vers cette petite ville du sud où je suis une “fleur bleue”. Je veux me faire des amis. J’arrive dans ton monde qui m’est inconnu et auquel je ne suis pas préparée. Je me suis vendue à ce prix là. Au prix d’avoir des amis. Je rencontre ce très bel homme de 20 ans, brun, ténébreux . Les bad-boy m’attirent (encore). Je ne suis pas prête pour “le faire” ou pas assez amoureuse. Je te sens pressé et impatient. J’arrive à te contenir en te disant que j’ai mes règles. Tu es musulman, je sais que le sang est sale dans ta religion. Je mets même des tampons pour faire encore plus vrai. Mais au bout d’une semaine, je ne trouve plus “d’astuce” alors je te suis dans cet endroit sordide. Derrière cette porte de la chambre il y a tes amis. Ils savent tous ce qui va se passer. Petits sourires entendus. Je suis très gênée. Je te dis non mais j’ai peur de toi. Alors je me laisse faire car je sais que sinon tu m’aurais fait du mal. (Je l’ai encore mieux compris plus tard lorsque tu seras arrêté pour d’autres raisons) (et que tu seras, à la sortie de prison, tué par balle). Bref. Je te redis plusieurs fois non. Non. Mais tu me retournes et me prends en levrette. J’attends. J’attends que tu finisses. Des minutes qui durent. Je me rhabille du peu dont tu m’avais débarrassée car tu étais juste pressé. Du tout que tu m’as volé. Mon innocence. Toute ma sexualité avenir était déjà en ruine sans qu’à ce moment là je ne le sache. Et ma relation à l’autre. À l’homme. Mais pas que. À moi. Aux autres femmes. Je me revoies marcher dans les rues, de nuit, telle une zombie pour rentrer chez moi. Je n’ai que de vagues souvenirs de ce chemin qui m’a semblé si long, si glauque, si brumeux. Détachée de moi-même. Et le silence. Le silence. Toutes ces années. Tant d’années. Trop. Jusqu’à mes 30 ans. Ton nom, je l’ai oublié. De suite. De toute façon tu étais parti en prison. J’ai redoublé d’efforts pour me le rappeler, après la naissance de ma fille afin de faire un travail sur moi. Puis je l’ai oublié à nouveau pendant 10 ans. Et encore aujourd’hui, je dois faire un véritable effort de mémoire pour retrouver ce nom. Parfois j’ai envie de le crier. Quand je suis seule, dans ma voiture. Ça me prend cette envie. Et je me dis que je dois être folle. Tu es mort sans que je ne te dénonce. Avant que je ne te dénonce. Et ça me ronge. Cette honte qui est restée collée sur ma peau. Presque 40 ans après c’est ça qui est encore vivace en moi. Tu es en vie en moi et je te déteste. Et je me suis détestée si longtemps. Je ne sais toujours pas ce que c’est qu’être pleinement heureuse. Amoureuse ? Et… côté plaisir ? … Tout est compliqué. Tout depuis ce non à peine murmuré que j’aurais dû crier. De ce nom que j’aurais dû crier. Qu’il m’arrive encore d’avoir envie de crier. Et, je ne suis capable que de ce silence. Assourdissant d’oubli. Comme pour faire comme si cela n’était jamais arrivé.
Chère Anonyme,
Vous avez vécu un trauma et vous avez encore des troubles post traumatiques , vous n’y êtes pour rien, le coupable c’était lui. Ne culpabilisez pas de ne pas avoir fait ceci ou cela, vous avez eu l’effet de sidération , vous étiez paralysée par la peur. Votre cerveau a eu un fort degré de stress et c’est ce qui vous a empêché d’agir. si vous aviez fait quoi que ce soit pour l’en empêcher il aurait continué à être de plus en plus violent. Le fou c’était lui, et la honte et la culpabilité qui vous rongent depuis toutes ces années doivent partir en fumée pour laisser la place à la bienveillance et à l’amour que vous méritez. Prenez soin de vous, vous êtes la personne la plus importante pour vous.
De tout cœur avec vous.
Le viol que vous avez subi reste gravé, comme tous les viols et parfois on semble oublier pour survivre, mais le temps n’efface rien. C’est bien ce que nous partageons, la douleur, l’écoute , la sororité, car nous savons que cela existe, alors nous devons vivre avec, tenter de crier et hurler plutôt que rien. Et tenter le bonheur pour nos enfants.