Quelques gestes de trop quand j’avais 15 ans, et tout mon être a explosé.
Les images suicidaires qui font irruption sans y être invitées, la tentation suicidaire contre laquelle il faut lutter, puis la mort qui accompagne comme une amie, car c’est une porte de sortie toujours présente, offerte pour faire cesser la souffrance.
Quelques gestes de trop, et tout mon être a explosé : je me suis retrouvée orpheline, sans filiation, sans racine, hantée par l’image d’un fœtus ni mort ni vivant qui flottait dans l’univers intersidéral avec le cordon ombilical coupé, flottant dans le vide et qui ne le reliait plus à rien. Je crois que cette image exprimait bien l’état dans lequel les gestes incestueux de mon père à 15 ans m’ont catapultée.
Dans quelques mois, j’aurai 65 ans et cela fera 50 ans que l’explosion a eu lieu.
Psychothérapie et psychanalyse m’ont permis de sortir du suicidaire. Et je me suis autorisée à adopter deux enfants aujourd’hui adultes. Mais je suis restée célibataire, incapable de partager du plaisir sexuel avec autrui : ni homo ni hétéro, simplement solo.
Étant la seule fille de la famille, j’ai longtemps cru avoir le “privilège” d’être la seule à avoir été abusée par mon père, et je n’ai jamais parlé. Jusqu’à ce qu’il ait répétition sur une petite-cousine de 9 ans de la génération suivante, et que cela se parle dans la famille. On a alors retrouvé trace d’au moins 6 cas d’agression sexuelle sur mineures de la part de mon père, dans et hors de la famille.
Mon porc, c’est mon père. Quelqu’un de “bien sous tous rapports” en dehors de cela, que nul ne soupçonnerait. Et que ma mère a toujours protégé, choisissant d’être aveugle, et tant pis pour les filles victimes, y compris la sienne : sauver son couple est passé avant tout.
Ainsi va la vie, au sein des familles incestueuses.
Mes parents sont morts de vieillesse, paisiblement pour mon père, terrifiée par la mort pour ma mère, sans jamais avoir été confrontés à leurs responsabilités vis-à-vis des filles victimes.
Je n’ai pas eu le désir de me venger, mais j’ai toujours été prête à tuer mon père pour ne pas qu’il fasse une victime de plus. J’ai pardonné à ma mère, son couple lui était nécessaire, elle en avait besoin pour survivre. Mais je ne pardonne pas à mon père, car je ne vois pas d’autre motivation à ses actes que “son bon plaisir” quelles qu’en soient les conséquences pour les autres. Je ne perçois pas de souffrance à l’origine de ses actes.
Mon porc, c’est mon père.
Dany
merci pour ce témoignage très émouvant. 5à ans après les faits, la douleur semble toujours aussi intense…
Magnifiquement raconté et compris. Si seulement tous les pères pouvaient lire ce témoignage, on compterait tellement moins d’agressions aux conséquences dramatiques.
vous êtes très touchante. maintenant qu’il est plus là vous n’avez plus rien à craindre. Mais votre âge et votre recul peut peut-être aider ses autres petites victimes;;;n’est-ce pas?
Bonjour, votre témoignage est très émouvant. 1 agresseur et au moins 6 victimes, en espérant pour les générations à venir que la libération de la parole permettra d’éviter que de tels carnages aient encore lieu au sein même des familles.
Ce n’est pas parce que l’on parle très peu des cas d’inceste à la télévision que cela n’existe pas, bien au contraire et tous ces témoignages, permettent de sensibiliser la population, non seulement sur les conséquences, mais aussi sur le fait que cela arrive dans bien des familles.
Merci beaucoup d’avoir témoigné.
Chère Dany,
Comment rester de marbre après un tel témoignage, si poignant, si criant de vérité, à l’ambiance pesante qui va crescendo jusqu’au couperet fatal : “Mon porc, c’est mon père.”
Vous décrivez avec des mots choisis et précis votre vécu et mettez en relief les conséquences de “son bon plaisir” : les pensées suicidaires, la mort qui est votre compagne (la mienne aussi et celle de tant d’autres), le sentiment d’être orpheline, la solitude d’une vie car impossible d’avoir confiance en quiconque et surtout pas sur le plan sexuel, la honte d’avoir un tel porc pour père qui en plus a fait d’autres victimes, la honte d’avoir une mère qui a fait l’autruche, les rapports et relations faussés au sein de votre famille, puis la colère que vos parents s’en soient si bien sortis et l’envie de tuer le porc !
Vous dites qu'”Ainsi va la vie, au sein des familles incestueuses.”
Ma famille n’est pas incestueuse, mais je dirais que vous venez de décrire quasiment ma vie, mais avec une différence de taille, je n’ai pas eu à porter la honte d’avoir un tel père et c’est déjà beaucoup !
Vous avez toute mon affection, ainsi que toute ma compassion !
Catoune.