Monsieur Marie,
Vous êtes le père de mon amie Catherine et votre femme et vous m’invitez aux Baléares pour quelques semaines.
C’est la première fois que mes parents m’autorisent ce genre d’escapade.
Je passe en première.
C’est les vacances.
Je travaille tout le mois de juillet pour m’offrir un billet d’avion.
Je m’envole.
Vous vous rappelez : nous logeons dans une maison, une chambre pour les parents et une autre pour Catherine, Sophie sa petite sœur et moi, à cinq minutes de la plage, des bistrots, des commerces, des copains. A cinq minutes de la vie.
Il fait beau, il fait chaud, c’est l’été, je m’essaie, très raisonnablement, au cuba libre, rigolades et baignades.
Rapidement les baignades se transforment en angoisse. Le père de mon amie me fait faire la planche, me soutient et ses mains qui se baladent sur mon corps, toujours plus insistantes, collantes, ces mains qui m’attirent à lui. Je ne me baigne plus, je passe pour la rabat-joie. Toutes les familles amies sont sur la plage et m’exhortent à la baignade.
Il me transforme en ado triste, mutique.
A qui dire ? Mes parents sont loin, le téléphone n’est pas encore portable ni même très démocratisé. Et le pire c’est qu’encore aujourd’hui je ne suis pas certaine qu’ils auraient réagi. Les attouchements, les grands savent que cela existe mais on n’en parle surtout pas. Je compte les jours en évitant soigneusement les tête-à-tête avec cet homme. Mais nous vivons sous le même toit et un soir en rentrant d’un dîner au restaurant… je me fais coincer dans notre chambre par ce vieux porc, au pied du lit de la petite sœur qui dort déjà. Il tente de m’embrasser, de me tripoter, il colle son corps d’homme mûr contre le mien. Je me rebelle, me débats, sans bruit. Je ne veux pas réveiller Sophie ni alerter mon amie et sa mère qui vaquent aux occupations du soir. Il insiste je le repousse en chuchotant et il finit par sortir de la chambre. Mon amie entre. Je suis momentanément hors de danger.
Au lit canard. Nuit difficile et les suivantes ne seront guère plus simples : je guette, j’épie les moindres bruits.
Je vis le reste de mes premières vacances sans ma famille sur la défensive, hébétée, déboussolée. A qui faire confiance.
Lui, il devait se chanter en boucle le tube de Ringo Starr, gros hit de cette année 1973 :
You’re sixteen, you’re beautifull and you’re mine
Et bien non Mr Marie :
vous m’avez pourri la vie mais je n’ai jamais été vôtre
Vous étiez un père et même si ma mère m’avait avertie des travers des hommes elle ne m’avait pas prémunie contre les pères.
Dans la foulée du retour je me suis confiée à ma sœur et à un ami qui chacun m’ont affirmé que ce n’était pas grave. Finalement… il n’avait pas finalisé… pas la peine d’en faire une histoire.