M. Il avait environ 15 ans de plus que moi. Quelle idée j’avais eu, de rester dans cette colocation, alors que lui, dès le début, je le sentais pas ! J’étais étudiante, j’avais 23 ans, je commençais un doctorat. J’étais studieuse, d’un caractère réservé, mais j’aimais bien faire la fête de temps en temps. Rapidement M. était devenu collant, insistant, il se débrouillait toujours pour être proche de moi, il parlait sans s’arrêter, m’empêchait d’aller dormir, restait dans ma chambre alors que je le pressais de partir. J’avais peur, mais je taisais mon angoisse. Je faisais tout pour garder le contrôle, même si, jour après jour, il devenait de plus en plus insistant. Je ne me rendais pas compte que j’étais épuisée de lutter. Je n’avais pas d’ami(e)s en dehors de cette coloc’. Il me harcelait quotidiennement, je me répétais en silence, comme une litanie : « ne t’inquiète pas, ça va aller, ça va aller il va partir… » Un soir, j’eus la mauvaise idée de rejoindre des connaissances au bar où il était aussi présent. En partant, il prit les clés de ma voiture, et me força à l’accompagner, dès qu’il ferma la porte je sus que j’étais prise au piège. En pleine nuit, il conduisit jusqu’à une zone de landes abandonnées, au milieu de nulle part, à une bonne vingtaine de kilomètre de mon domicile. Il faisait froid. Il n’y avait pas âme qui vive, je pouvais toujours crier de toutes mes forces ! Et comment me sauver, sans voiture ? Il installa la tente, je ne voulais pas dormir avec lui, mais il faisait trop froid. Quand il commença à me toucher je lui dit « NON » et suffisamment fort pour qu’il sache très bien ce qu’il était en train de faire. Le corps qu’il touchait était tout raide : ce n’était déjà plus vraiment le mien. Quan je compris que malgré mes refus, mes « Non », ma position recroquevillée, mes tentatives pour le repousser, il avait l’intention d’aller au bout de son acte, en me montrant que c’était lui le plus fort, je finis par abandonner cette bataille qui avait commencé par son harcèlement quotidien. Je ne me souviens presque plus, si ce n’est ce grand vide dans le coeur, et le sentir prendre son plaisir dans mon corps inerte, j’étais comme morte. Je n’ai pas eu le courage de porter plainte. Je ne savais pas comment faire, je me sentais trop seule, et puis quelles preuves apporter ? Nous partagions la même colocation, je n’osais pas réaliser que j’étais sa victime, un déni s’installa. Des années après, je me reconstruit à pas lents, en comprenant le système d’emprise et de manipulation qui m’a entrainé à garder le silence, à ne pas défendre mes droits, et à retarder ma réparation. J’ai été cette femme en miettes, cette femme que le viol a découpé en morceaux éparpillés au vent. Il m’a fallu tant de temps pour les retrouver, ces morceaux de moi dispersés ! Un combat de tous les jours pour rester debout et ne pas céder à la haine. Les amis qui écoutent mais ne prennent pas au sérieux ou qui relativisent, la violence qui s’intériorise, qui se retourne mortellement contre soi , l’impossibilité à se projeter dans le futur, le sentiment d’être une femme brisée pour toujours : tout cela je l’ai connu, mais aujourd’hui je veux me regarder dans le miroir avec fierté et reconnaissance : je suis vivante et je retrouve confiance en l’humain, je reconnais le chemin parcouru, je fais partie de celles qui ont traversé « cela », j’appartiens à ce grand cœur universel, à cet amour meurtri.
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