J’ai 56 ans, et j’ai crû pouvoir vivre tranquillement avec ça… Pendant près de 40 je ne m’en suis même pas souvenue. Rien. Zéro. Nada.
Et puis il y a 5 ans j’ai commencé à me souvenir de ce qui s’était passé. Mon frère, plus âgé d’1 année, a commis des actes incestueux sur moi.
Mais dans une espèce de torpeur décousue, je n’ai vraiment revécu et réalisé la gravité de ses actes que bien plus tard.
Il y a eu plusieurs épisodes (sans compter ce que je ne sais pas):
– les faits me sont revenus en mémoire: il avait 11 ans, il se prenait le sexe en érection, couché sur le canapé, alors que moi, assise par terre devant la table du salon je regardais la télé. Je faisais tout mon possible pour ne pas devoir me retourner et le voir. J’étais très gênée, extrêmement mal à l’aise, mais à mes 10 ans je ne savais pas trop ce qu’il faisait. Sinon que je ne voulais pas voir ça. Je ressentais que c’était salissant pour moi
– vers les 11 ou 12 ans, nous jouions au “cheval”, à monter chacun notre tour sur le dos de l’autre. ET lui, au lieu de se tenir à mes épaules, se tenait à mes petits seins qui commençaient à peine à pousser. J’en étais horrifiée, mais je pensais qu’il ne le faisait pas exprès et je bougeait de sorte qu’il soit obligé de se tenir ailleurs.
– vers les 16-17 ans, nous étions en vacances, et je dormais seule dans ma chambre. Je dormais profondément, mais quelque chose m’a réveillée. C’était mon frère. Qui me caressait les seins. J’ai sursauté et demandé véhémentement qu’est-ce qu’il foutait! Tout paniqué et penaud il a dit “non, rien, rien” Il me faisait signe de me taire, pour ne pas réveiller nos parents. Je l’ai menacé de crier s’il ne partait pas immédiatement et comme il restait là j’ai appelé ma mère assez fort. Il a alors encore fait “chuuut, chuuut” et il est parti. Le lendemain à la plage, à la table du dîner, ma mère me demande “qu’est-ce qu’il s’est passé hier soir? Tu m’as appelée?” et j’ai gardé le secret… “non, non, rien” .
Et j’ai tout effacé de ma mémoire. Jusqu’à il y a peu.
Je passe sur les circonstances qui m’ont fait remonter les souvenirs peu à peu et la douleur, la déception, le dégoût, la colère, d’avoir désormais un tableau assez précis des divers événements. Dont je me souvienne… Et accepter que mon frère que j’aimais tant est en réalité un porc.
Et puis je me pose aussi la question de savoir combien d’autres fois m’a-t-il touchée sans que je ne me réveille? Qu’a-t-il fait d’autre pendant mon sommeil que je ne saurai jamais? De quoi mon corps se souvient-il encore?
Je parle de mon corps parce que justement depuis 5-6 ans je souffre d’hyperphagie. J’ai pris plus de 25 kilos et suis devenue très grosse. Symboliquement parlant, j’ai pris la moitié de mon poids de base (50). Est-ce cette moitié de moi, mon frère que je considérais comme mon jumeau, qui me colle et m’empêche de me libérer? Je le hais.
Nous nous voyons très peu, deux ou trois fois par an, mais quand je le regarde je ne peux m’empêcher d’y penser. Pas tout le temps. Mais souvent. Nous n’en avons jamais parlé. Moi parce que je ne m’en souvenais même pas. Lui,… je ne sais pas.
Et maintenant mon confort m’est plus important que de le lui jetter en pleine figure. Des fois je pense qu’il sait que je m’en suis re-souvenue… Car mon attitude a dû changer sans doute vis-à-vis de lui. Mes yeux lui disent silencieusement “tu es un porc…”