J’avais 8 ans. Peut être 9.
Et pour vérifier ce que papa regardait dans le salon en plein jour, Adrien m’avait préparé un jeu.
Je ne connaissais pas les règles, je ne connaissais pas ce jeu.
Je devais me glisser sous son lit.
Bon. Très bien. J’entends alors 2 tours dans la serrure de la porte de sa chambre.
Comme il connaissait le judo et que je le connaissais casse-cou il me disait : « si tu dis de la je te casse la gueule. »
Je ne comprenais pas pourquoi il prenait ce ton. J’ai essayé de sortir mais rien n’y faisait. Ses pieds et ses mains venaient me bloquer. Le reste c’est le sol et le matelas à quelques centimètres au dessus de moi qui le faisait.
Je lui demandais qu’est ce qu’il voulait.
Il m’a dit : « mets toi à poil ! »
Je comprenais pas cette expression. Je ne l’avais jamais entendue. Comme je ne faisais rien il s’enervait et amenait une jambe le long du sol pour me taper.
« Tu sortiras pas tant que tu me donneras pas tes habits ! T’es prisonnière ! »
Judqu’ici, ça ressemble au récit d’un jeu qui a pris une déviante bizarre. Et on pourrait même lui pardonner à Adrien. Car il n’avait que 11ans.
Besoin de comprendre les filles, besoin de voir si les filles de mon âges ressemblent à celles qui sont sur la télé de papa… besoin de faire comme lui.
C’est pour ça que jai pardonné.
Jusqu’aux larmes que j’ai essayé de cacher pendant que je me déshabillais. Tout ce que je voulais à ce moment là, c’etait retrouver mon papa et ma maman. S’ils me voyaient, ils auraient honte de moi. Et ils seraient en colère.
Et quand il me prit ma culotte, il me prit aussi quelque chose d’invisible encore : ma propreté. Le début de ma féminité. Mon insouciance, un morceau de mon enfance. Il m’a appris la menace.
La moquette râpe mes jambes nues. J’ai froid et je veux partir. Mais impossible d’appeler au secours. Pour qu’on me découvre nue ? J’aurais encore plus honte et mes parents me gronderaient si fort.
Alors j’ai attendu dans le froid de sa chambre. Longtemps. Il passait sa tête et me regardait. Longtemps aussi. Je devais enlever mes mains qui me cachait.
« Enlèves t’es mains ou jte casse la gueule ! »
J’enlevais mes mains. Ma gorge me faisait mal parce que j’étouffais mes larmes.
La poignée tourne dans la porte mais le verrou bloque. On toque très fort à la porte. Sa mère gueule ( ils parlent très fort chez eux) « Adrien ! Qu’est ce que tu fais encore comme connerie ?! »
Les habits me reviennent à toute vitesse.
« Rien ! »
« Elle est où Sophie !? »
« Elle.. est aux toilettes ! »
« Dis lui qu’elle rentre chez elle, il est tard sa mère va s’inquiéter ! Et tu arrêtes de fermer cette porte à clé j’aime pas ça ! »
Je me faisais engueuler.
« Mais dépêches toi allez ! »
Je me rhabillais le plus vite que je pouvais, coincée sous ce lit et contre cette moquette…
J’étais fichue dehors en moins de deux.
J’ai avalé mes larmes. Pour que mes parents ne devinent rien. Qu’on ne me demande pas. Pour ne pas être disputée. Et pour ne pas raconter quelque chose de si honteux.
Parce qu’il m’avait dit « Si tu racontes ce qu’il s’est passé … » et me faisait le signe du pouce qui glisse sur la gorge.
Mes larmes reviennent à mesure que j’ecris ce souvenir.
Je me rends compte que mes larmes sont toujours là.
Merci à ce sited’exister, parce que j’exprime librement aujourd’hui quelque chose dont je n’ai plus peur de parler.
Libre à chacun d’en juger la gravité ou non.
Ça m’a défiguré mon enfance. Moi je le sais. Et moi seule l’ai porté.
Je pense aà tous ceux pour qui la violence a été plus sourde, à ceux pour qui oublier est impossible, à ceux qui se sont fait voler tellement plus que le consentement… tellement plus.
Je pense à vous tous. Et je vous embrasse fort. Ayez toute la force de pouvoir poursuivre votre chemin dans le plus de dignité. Léchez vos blessures et poursuivez votre chemin avec le plus de paix possible, je vous le souhaite.
Bien à vous toutes et tous.
Sophie
Merci pour votre témoignage, comment faites-vous pour pardonner? A Ouradour sur glane, il est écrit “pardonner mais ne pas oublier”. Je comprends que cela ait pu défigurer votre enfance, comme là j’aurais envie de le défigurer celui qui vous a fait ce mal,
Courage.