J’avais 7 ans, mes parents ont divorcé et ma mère a décidé de se rapprocher de sa famille en venant vivre au Mans. Ma mère était infirmière et travaillait un week-end sur deux, les week-end où elle ne pouvait pas s’occuper de nous, elle nous confiait à mon oncle et ma tante.
C’est là que l’enfer a commencé, ça a commencé par des brimades, mon oncle m’a bien fait comprendre que je n’étais qu’une sous-merde et puis, la nuit, il venait me réveiller pour me toucher les parties génitales et se masturber et petit à petit il m’a demandé de le masturber, de le sucer. Tous ces souvenirs sont flous, il ne me reste que des bribes, des “flashs”, des sensations (la texture du dessus de lit, le goût dans ma bouche)…. Cet homme, mon oncle, était pour tou-te-s au dessus de tout soupçon ,il travaillait pour l’entreprise Renault au Mans, il était apprécié, respecté, il a même été bénévole aux Resto du cœur. Un mec parfait quoi.
J’ai subi tout ça sans rien dire jusqu’à mes 13 ans, j’avais honte, je pensais que c’était de ma faute.
A 16 ans, lors du début de ma vie sexuelle tout cela m’a “pété à la gueule” j’ai fait ma première dépression. A 22 ans, alors que cette histoire m’obsédait et j’avais peur pour mes autres cousines et ses petits-enfants. J’ai parlé à ma mère, elle a été bouleversée. Moi qui pensait que toute ma famille allait me tourner le dos, tou-te-s m’ont cru et m’ont dit qu’ils-elles avaient toujours eu un sentiment étrange à son égard, même ses propres enfants qui n’ont jamais subi d’agressions de sa part…
Ma mère est venue me voir là où je vivais et m’a dit qu’une autre femme (dont j’avais toujours entendu parlé mais que je n’avais jamais rencontré), plus âgée que moi, qui avait été gardée enfant par mon oncle et ma tante avait parlé, elle aussi, 3 semaines auparavant !!
Moi qui ai douté, pensé que j’étais folle, pensé que j’avais inventé tout ça, nous étions 2 et cela changeait tout.
Nous nous sommes rencontrées et avons décidé de porter plainte. Mais pour Lucie (l’autre victime) les faits étaient prescrits, elle avait 30 ans… A commencé un parcours juridique long et difficile.
J’ai d’abord rencontré une avocate qui m’a ri au nez en me disant que pour des faits comme cela, on n’était pas condamné, j’ai changé d’avocate pour une autre qui perdait régulièrement mon dossier (…), c’est donc seule que je suis allée au Tribunal ressortant avec un papier qui indiquait que les faits étaient prescrits pour “extinction de l’action publique”, c’est à dire qu’ils avaient estimé que les faits étaient prescrits alors que j’étais mineure de moins de 16 ans abusée (violée en fait) par personne ayant autorité.
Or, le tribunal du Mans a estimé que ce n’était pas une personne ayant autorité… Pour rappel, il s’agissait de mon oncle qui me gardait un week-end sur deux et certaines vacances…
Je suis allée rencontrer l’association des victimes au Tribunal du Mans où j’ai eu un accueil merdique et suspicieux, et ils ne voyaient rien à redire à ce jugement, Honte à eux !
J’étais anéantie et bien sûr, j’ai fait une nouvelle dépression.
Mais j’ai décidé de me battre, j’ai écrit au Ministre de la Justice de l’époque en lui expliquant ma situation et oh miracle, mon dossier a été ré-ouvert. Le Tribunal du Mans m’a dit avoir fait une erreur de “grilles d’évaluation” pour plusieurs dossiers comme le mien (c’était en 2001 je crois), j’espère que d’autres victimes ont elles aussi pu aller au bout de leurs démarches après cette “erreur” du Tribunal du Mans.
S’en est suivi une expertise psychologique qui a démontré que mes dires étaient vrais et avec Lucie, nous nous sommes battues comme des lionnes, j’en profite pour remercier l’association contre le viol qui m’a soutenue par téléphone durant toutes ces années de bataille. Finalement, le jour du jugement est arrivé, c’était le pire jour de ma vie, mon agresseur était là, à quelques mètres de moi, à prendre des cafés à la machine, et nous avons attendu des heures avant de passer devant le juge.
Je tiens aussi à remercier ce juge qui a été à l’écoute, même Lucie, qui était dans la salle avec le “public” a pu s’exprimer même si les faits étaient prescrits pour elle. Mon oncle a reconnu les faits même si il les minimisait, il parlait de nous comme des “jeunes filles”, alors que nous étions des gosses ! Il a aussi dit pendant le procès qu’il avait vu un psychologue et que depuis il allait mieux puisqu’il avait tout oublié !!! J’étais tétanisée durant cette audience, je tremblais de tous mes membres au point de faire trembler la table des journalistes assis derrière moi qui suivaient le procès. Mais j’ai réussi à prendre la parole à ce moment là et j’ai réussi à lui dire les yeux dans les yeux que je pourrai voir tous les psychologues du monde, moi je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait subir.
Finalement, il a été condamné à 1 an de prison dont 6 mois avec suris, une injonction thérapeutique et à me verser 10 000€ (je crois).
Les journalistes m’ont dit ne jamais avoir vu de peine aussi lourde pour des faits si anciens…
Il n’a jamais fait ses 6 mois de prison (elles sont pleines), le juge d’application des peines lui a juste fait porter un bracelet électronique durant 6 mois…
Depuis, je vis comme je peux avec cette douleur, le procès a été une reconnaissance mais n’a rien effacé de ce que j’ai vécu. Ceci dit, je suis fière d’être allée au bout de ma démarche même si ces années de bataille ont été très douloureuses et j’y ai laissé pas mal de plumes.

Il y a quelques années, Lucie (l’autre victime) a été terrassée par un cancer du sein mais pour moi, c’est lui qui l’a tuée tant je suis persuadée que le mal qui l’a rongée vient de ses blessures béantes de l’enfance qui lui a fait subir et pour ça, je ne lui pardonnerai jamais.

Pour toi Lucie, ma sœur de galère, je témoigne aujourd’hui pour qu’on n’oublie pas le mal qu’il t’a fait. La justice n’a pas pris en compte le fait que tu étais, toi aussi, une victime de ce monstre dégueulasse.
Ces délais de prescription ridicules l’ont détruites et ne prennent pas en compte les années de douleurs que nous avons traversées pour réussir à parler enfin. Il faut que cela cesse.

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